Accueil 5 Moyen-Orient 5 Contribution: Le « nœud gordien » de la crise nucléaire iranienne : Un panorama stratégique (Partie 2)

Contribution: Le « nœud gordien » de la crise nucléaire iranienne : Un panorama stratégique (Partie 2)

Le Grande marchandage :

 

iranEn cas d’erreurs politico-stratégiques, « même la mobilisation effective de la volonté nationale, la main-d’œuvre, puissance industrielle, la richesse nationale, et le savoir-faire technologique ne peut pas sauver les belligérants de récolter les fruits amers des graves erreurs à ce niveau. C’est parce qu’il est plus important de prendre les bonnes décisions au niveau politique et stratégique qu’au niveau opérationnel et tactique. Les erreurs au niveau opérationnel et tactiques peuvent être corrigées, mais des erreurs politiques et stratégiques vivent toujours ». Ainsi, les États-Unis semblent vivre leur « moment de Suez » au Moyen-Orient et Afrique du Nord, ce qui donne un avantage temporaire pour l’Iran. Les États-Unis ont détruit son ennemi héréditaire, tout en se voyant décrédibilisé dans la région. L’invasion de l’Irak était en quelque sorte le début de la fin du moment unipolaire. Les couts de la guerre sont énormes dépassant le cout de la Seconde guerre mondiale. Politiquement, la réputation morale du pays a gravement été ternie même parmi les plus proches alliés. Economiquement, le cout extérieur total de guerre mondiale contre le terrorisme s’élevait en 2008 à 900 milliards (non comprises les dépenses consacrées à la sécurité intérieure).

 

Parallèlement, par leur soutien irresponsable et illégal à Israël, ils ont affaibli leurs alliés dans la région. Une certaine inquiétude prévaut chez les petits pays du Golfe, au sujet de leur existence dans l’ombre d’un puissant voisin doté de capacité nucléaire. Au-delà de la question nucléaire, l’obsession des pays du Golfe en particulier est l’idée de voir émerger un pôle/croissant Chiite allant de Téhéran à Damas incluant Bagdad, Beyrouth, Sanaa. Ces États peuvent craindre la création d’un pôle chiite qui contrôlerait l’essentiel des ressources pétrolières. Peur et admiration sont les deux mots qui résument la façon dont la plupart des pays arabes du Golfe appréhendent les ambitions nucléaires de l’Iran. Un grand nombre d’Arabes ont le sentiment que l’Iran tient tête à l’Occident, tandis que leurs dirigeants cèdent aux diktats des américains. Téhéran est consciente du fossé existant entre les dirigeants Arabes et leurs peuples, et s’est efforcé de l’exploiter à son avantage. D’ailleurs, l’Iran a dépensé de l’argent pour créer un groupe médiatique comprenant télé, presse et Internet en langue arabe. Malgré les sanctions, l’Iran (qui pourrait tirer avantage de la crise de l’Occident avec la Russie et la montée de la Chine) se trouve renforcé au niveau régional.

 

C’est ainsi que le gouvernement iranien se trouve dans une situation plutôt avantageuse où il peut choisir entre deux options : négocier au prix fort la fin de ses activités nucléaires ou poursuivre son programme nucléaire avec assez peu de craintes quant à d’éventuelles sanctions. En revanche, en position de faiblesse aujourd’hui, les États-Unis pourraient inverser le rapport de force en leur faveur dans la perspective d’un vaste marchandage avec Téhéran ; mais cela suppose de résoudre la question palestinienne pour marginaliser le régime à l’intérieur comme l’extérieur. Par ailleurs, un grand marchandage exige d’inclure la question du nucléaire israélien, indissociable du dossier nucléaire iranien. La solution ne pourrait être qu’une zone exempte d’arme nucléaire dont les frontières restent à définir. Pour le monde arabe, l’une des menaces qui émanent de la capacité nucléaire d’Israël est son engagement parallèle à éviter la nucléarisation arabe, même si ces installations sont à des fins pacifiques sous le contrôle de l’AIEA au moins.

 

En plus, non seulement la politique d’ « ambigüité stratégique » n’est plus tenable, Israël ne peut pas prétendre être un Etat responsable en matière de non-prolifération. La révélation en 2010 de documents officiels selon lesquels Tel-Aviv a proposé la vente de huit têtes nucléaires et une coopération militaire renforcée à l’Afrique de Sud sous l’Apartheid constitue une preuve concrète qu’Israël est à la fois une puissance nucléaire et un Etats non responsable (voyou selon la terminologie américaine) en matière de non-prolifération. La politique de l’opacité  nucléaire (ou amimut en hébreu) a été codifié en 1969 dans un accord secret entre le Premier ministre israélien Golda Meir et le président américain Richard Nixon. Bien que cet accord n’ait jamais été reconnu ouvertement, son existence a été révélée en 1991. Ainsi, dénoncer le programme iranien en maintenant le silence sur les stocks nucléaires d’Israël ne créera pas les conditions d’une coopération devenue nécessaire. Finalement, en attendant une politique américaine plus rationnelle, respectueuse des alliés internationaux, moins favorable à Israël, plus humaine, dans ces conditions le but sera au minimum de s’assurer que l’Iran respecte le système de garanties renforcé prévu dans le protocole additionnel tout en maintenant la pression pour un changement de régime sinon au moins un changement dans son comportement international.

Les relations américano-iraniennes ont rarement été normales. L’Amérique aujourd’hui ne sait plus quoi penser et quoi faire de l’Iran, mais ne rien faire n’est pas concevable. La politique étrangère impose toujours qu’on fasse des choix et l’Iran demeure l’un des pays politiquement les plus importants du monde musulman. Si les États-Unis souhaitent modifier en profondeur les rapports de force au Moyen-Orient, ils ne peuvent pas se contenter du maintien du statu quo : « L’impact régional recherché par les États-Unis ne peut avoir pour épicentre que l’Iran. C’est précisément parce que l’Iran a été à l’origine et au cœur de tous les changements majeurs intervenus au cours du XXe siècle qu’il est désormais au cœur de la stratégie américaine dans la région », expliquait Christophe Reveillard. Seul un grand marchandage permettrait de sortir de l’impasse. L’Iran pourrait jouer un rôle constructif dans tous les domaines qui font partie des préoccupations internationales s’il obtient des contreparties. Mais les pays arabes en particulier du Golfe ont peur que l’accord en cours sera au détriment de leurs intérêts. Les États arabes veulent d’autant plus dénoncer une menace potentielle iranienne que la vraie menace est posée par les armes nucléaires israéliennes.

 

Si l’accord a été signé, ses résultats ne seront pas écrits à l’avance. Il ne faut pas perdre de vue que l’objectif principal des négociations pour les Iraniens est de voir leur pays retrouver son statut de puissance régionale alors que pour les Américains les négociations étaient un moyen et une première étape seulement vers le démantèlement complet du programme nucléaire. Iraniens et Américains sont aujourd’hui en mesure de se dissuader mutuellement, ce qui leur offre une base de dialogue. Washington espère la coopération de l’Iran pour réussir stratégie régionale. Seulement, les Iraniens œuvrent pour pousser Washington à revoir, en leur intérêt, l’ensemble de sa stratégie régionale dans le Golfe. En revanche, les Américains tiennent l’Iran par le dossier nucléaire. Cependant les États du Golfes (compris Israël) sont méfiants sur la question du rapprochement entre Washington et Téhéran. Ils souhaitent éviter une nouvelle secousse pour la région tout en désirant en même temps l’échec de toute tentative de dialogue sérieuse entre Washington et Téhéran, dont l’entente se ferait nécessairement à leur détriment. La guerre entre Etats-Unis et l’Iran n’est pas inévitable, pas plus que la paix. Ni la paix, ni la guerre entre les deux pays ne semble être souhaitée par les dirigeants arabes. Ceux-ci continuent de préférer le retour au statut quo qui garantirait, à leurs yeux, la sécurité au moindre coût.

 

Les enjeux économiques que représente l’énergie nucléaire sont énormes. Contrairement à la plupart des produits sur le marché instable d’aujourd’hui, l’uranium sera celui dont la valeur augmentera sensiblement (mais sûrement) au fil du temps. L’intérêt croissant des pays en voie de développement pour le nucléaire a été expliqué par D. Poneman. Dans les années 1970, la vision des nations de cette question était d’une grande importance et la plupart des pays cherchaient à accéder à l’énergie nucléaire. « Si un pays ne prenait pas cette voie, c’était à cause d’une incapacité financière ou bien technologique ». Cet intérêt pour le nucléaire s’expliquait par la volonté de ces pays d’« utiliser les réacteurs nucléaires pour augmenter leurs capacités de génération d’électricité, développer leurs capacités pour la construction des armes nucléaires, ou simplement créer l’option de poursuivre des voies militaires ou énergétiques dans le futur en fonction des exigences de l’ère ». A l’instar des programmes nucellaires d’autres pays arabes aujourd’hui, le programme de l’Iran a toujours été et est un mélange des deux : utiliser la technologie nucléaire au lieu de pétrole, et se garder le choix de poursuivre une option militaire, si le besoin se faisait sentir. Ce qui n’est pas en contradiction avec ses engagements internationaux. Cela pour dire que le que le problème que pose programme nucléaire iranien a toujours été politique et en aucune façon au niveau juridique.

 

Au final, il ne faut pas oublier les dessus économiques de la possession d’un cycle nucléaire complet pour l’Iran. Aujourd’hui, l’essentiel du programme nucléaire iranien est national. Si l’Iran atteint un jour un haut niveau technologique comme un pays possédant les technologies nucléaires complètes (même sans développer des armes nucléaires), cela sera une très puissante impulsion pour le développement de son industrie nationale toute entière. Dans la sphère politique, cela oblige tout le monde à compter avec l’Iran, pays avec lequel les occidentaux doivent négocier égal à égal sur divers problèmes régionaux et globaux. Avec ou sans l’arme nucléaire, il n’existe pas vraiment de concurrent véritable à l’Iran à la course vers la puissance régionale. L’option nucléaire militaire a de nombreux avantages pour le régime et lui donne plus de liberté dans l’élaboration de sa politique étrangère car elle se situe au point de rencontre de plusieurs intérêts iraniens ; la volonté d’indépendance nationale, le besoin de reconnaissance comme État moderne, la tentation de la puissance régionale. Mais les buts et vœux les plus chers des iraniens est de réintégrer la scène internationale. L’Iran nucléaire va à l’encontre de cet objectif. L’Iran a certainement beaucoup investi dans son programme nucléaire et s’est donné beaucoup de mal à y parvenir et garder son sa portée secrète. Toutefois, il semble qu’il n’ait pas définitivement décidé à se doter de l’arme nucléaire. Son approche consiste plutôt à voir ce que le pays peut se permettre sans être inquiété, à attendre et voir ce qui se passe, à garder toutes les portes ouvertes.

 

 

Tewfik HAMEL, Chercheur en Histoire Militaire (Montpellier 3) et membre du Comité de lecture des revues Géostratégiques (France) et Magazine of Political Studies & International Relations (Liban).

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