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Blindé russe

Observations techniques sur la guerre d’invasion russe en Ukraine

L’invasion militaire de l’Ukraine déclenchée par l’armée russe le 24 février dernier a beaucoup surpris les connaisseurs des tactiques et équipements militaires russes et pour cause cette guerre est véritablement inédite en termes d’échelle et d’intensité ainsi que de la mise en épreuve d’équipements militaires stars de catalogues et de salons d’armement.

Cette guerre est la plus grande guerre depuis les deux guerres du Golfe. C’est la première guerre de cette taille avec deux belligérants aussi forts et disposant d’autant d’hommes et d’équipements.

La comparaison avec l’opération Desert storm démontre que la coalition ayant gagné la guerre était supérieure en nombre et en matériel que l’armée russe engagée le 24 février. De son côté l’armée irakienne était équivalente en nombre d’hommes que l’armée ukrainienne mais manquait de compétences tactiques et de coordination et était dépourvue de bulle A2D2 comparable à celle dont dispose l’Ukraine. L’Irak avait moins d’avions, moins d’hélicoptères, pratiquement pas de moyens de guerre électronique et n’avait accès à aucune aide extérieure.

L’armée ukrainienne avait aussi mis plusieurs années à construire une industrie militaire acceptable et à bâtir une défense en profondeur protégeant le Donbass, Kharkov et Kiev d’attaques venant de Russie. Cette défense en profondeur était constituée d’un réseau de tranchées dans le Donbass, de garnisons fortifiées, de moyens de renseignement électronique puissants et bien utilisés et d’obstacles physiques empêchant une éventuelle progression éclair russe.

Beaucoup de choses ont été dites sur la qualité de l’intervention russe et des jugements portés sur les équipements utilisés dans ce conflit. Nous souhaitons partager avec vous quelques observations basées sur des faits documentés et vérifiables ou sur des statistiques documentées, sur cette guerre.

Nous avons utilisé les statistiques données par le site Oryx, qui est connu pour son sérieux et qui relève en temps réel les pertes des deux côtés en les documentant.

 

Première observation

L’armée russe n’a pas engagé ses équipements les plus modernes. Très peu de BMP-3 aucun BMP-2 Berezhok, pas de Sprut SD, peu de Shilka, Pas de Kornet EM, pas de Sosna, pas de Krizantema, Très peu de T-90, pas de S-300 ni de S-400, les moyens de guerre électronique n’ont pas été visibles mis à part un Borisoglebsk-B2.

Bien entendu la Russie n’a pas engagé d’équipements réellement modernes comme les T-14, T-15, Kurganets, Bumerang ni même les BMPT qui étaient pourtant visibles en Biélorussie quelques jours avant le 24 février.

Une explication pourrait-être le fait que l’armée russe, sachant qu’elle ferait face à une défense ukrainienne très importante, a voulu exposer lors de la première vague d’invasion des équipements plus anciens, largement amortis et récemment rénovés comme les T-80U et les centaines de MTLB utilisés comme principal transport de troupes de première ligne. Il est intéressant à noter qu’originalement le MTLB était un blindé de fabrication de Khakhiv Traktor Zavod en Ukraine et que la guerre de 2014 avait laissé l’énorme parc de plusieurs milliers de blindés de l’armée russe sans pièces de rechange ni réparation. En 2016 avait été prise la décision de « russiser » le parc et de le rénover/moderniser dans l’usine Remdizel de Nabrejni Tchelnii au Tatarstan.

Idem pour le T-80 dont 4500 exemplaires avaient été mis en réserve en 2014, ont finalement été repris en 2017 et modernisés pour être intégrés à partir de 2017. Là aussi ce sont des centaines de chars modernes destinés à la casse qui ont finalement été préparés pour cette guerre.

Si l’on prend les statistiques des pertes documentées de l’armée russe en Ukraine, on remarque que la majorité des pertes modernes russes sont constituées de camions Kamaz et Ural de moins de dix ans d’âge. Sur l’ensemble des 902 engins et véhicules perdus, il y a 56% de véhicules récents datant de la Russie. 266 camions datant de la période russe donc modernes et 242 engins techniques et/ou blindés (chars, blindés, véhicules SAM…).  La tendance s’inverse pour les 44% de véhicules détruits restants qui datent de la période Soviétique qui sont composés à 98% d’engins blindés et de 2% de camions.

446 engins techniques et/ou blindés (chars, blindés, véhicules techniques..) pour sept camions.

On constate donc qu’il y a eu destruction de véhicules de combats aux 2/3 datant de l’URSS, les plus modernes ayant été relativement épargnés.

 

Deuxième observation

Il y a un changement doctrinal au sein des forces terrestres russes, les méthodes du rouleau compresseur précédé d’un travail d’artillerie n’est plus d’actualité, la Russie fait face à une catastrophe démographique et essaye de s’adapter à cette nouvelle donne. Il semble donc que le mot d’ordre est la survivabilité du soldat, on peut vérifier cela en regardant les statistiques des pertes russes documentées :

59% des pertes en véhicules ont été des abandons, des pannes ou un endommagement de la structure par des tirs. 41% des pertes sont donc dues aux combats (3.5% dues aux drones Bayraktar TB2).

Pour augmenter la survivaibilité des soldats, l’armée russe compte de plus en plus sur le transport blindé et de moins en moins par le transport par camion qui est dévolu au cargo et aux deuxièmes lignes. On remarquera par exemple que sur l’ensemble des véhicules perdus il y a plus de transports de troupes blindés (38%) que de camions (31%).

135 chars ont été perdus par les russes : 51 T-80 dans différentes variantes, 49 T-72 dans différentes variantes, 14 T-90 et 2 T-64. 45 des 51 T-80 perdus ont été abandonnés suite, probablement, à des pannes, 6 ont été détruits lors des combats. Les T-72 ont connu un sort plus violent, sur les 49 perdus 25 ont été abandonnés et 24 détruits au combat. Seuls 5 T-90 ont été détruits lors des combats. On a pu voir des photos d’un T-90 touché par des tirs de sniper sur ses systèmes de défense active et ses optiques.

 

 

Troisième observation

L’assaut contre l’aéroport de Gostomel (Antonov) puis la jonction avec les forces à terre ont été très cher payé par les troupes parachutistes (VDV) russes. Ils y ont perdu 64 véhicules blindés aérotransportables, essentiellement des vieux BMD-2 (33), des BMD-4 (5), des plus modernes BTR-MDM (5) et des vieux BTR-D (22). Il est intéressant de noter que le taux de destruction de véhicules datant de la période soviétique utilisés par les VDV représente 86% des pertes.

 

 

Quatrième observation

Les munitions de longue portée et de haute précision ont connu beaucoup de succès. La Russie a utilisé plus de 700 missiles tirés de plateformes se trouvant en mer ou en Russie/Biélorussie pour frapper des cibles sur l’ensemble du territoire ukrainien.

Il s’agit essentiellement de missiles Kalibr tirés de navires en Mer Noire et de missiles Iskander tirés dans leur deux versions : balistique avec le missile 9M723 et de croisière 9M729.

Sur des distances plus courtes, l’armée russe a pour la première fois utilisé des roquettes de haute précision 9M544/9M549 à partir de MLRS Tornado qui ont une portée de 90 Km et qui sont à guidage GNSS.

 

Il faut néanmoins noter que la Russie a échoué à détruire l’ensemble des aérodromes militaires ukrainiens dont certains continuent à opérer au profit de l’armée de l’air ukrainienne avec un certain succès.

 

Cinquième observation

Une utilisation erratique de l’aviation par l’armée russe. Bien qu’ayant réussi à prendre le dessus sur son homologue ukrainienne, l’armée de l’air russe a enchaînée les pertes et n’a surtout pas réussi à mettre hors d’état de nuire le système de défense anti-aérien ukrainien. C’est ce qui pourrait expliquer le comportement stupide de quelques pilotes russes qui volent en TBA (très basse altitude), qui finalement s’exposent à la profusion de MANPAD utilisés par les défenseurs de l’Ukraine. Mais malgré le nombre de pertes élevés, l’armée russe demeure dans les statistiques des pertes de la coalition contre l’Irak ou celle de la guerre de l’OTAN contre la Serbie.

 

On note aussi le sérieux handicap et l’énorme retard qu’ont les russes sur l’ensemble des aviations modernes avec l’absence de Pods de désignation, permettant les frappes de précision à très longue distance, qui réduisent les pertes et les prises de risques inutiles. Idem pour la sur-utilisation russe des bombes lisses (en 2022 ??) sur leurs avions même modernes (Su-34, Su-30SM) et de roquettes non guidées sur leurs hélicoptères modernes (Mi-28, Ka-52), lors de son offensive au Sud, une vidéo montrait une attaque à la roquette d’un Mi-28 très rapprochée de sa cible malgré l’existence de radar et missiles guidés sur l’appareil. Une autre vidéo a montré le tir par un Su-35 (chasseur-intercepteur) d’un missile anti-radiation X31, ce qui n’est pas une utilisation adéquate de cette ressource, même si dans l’enveloppe de missions du Su-35 le SEAD/DEAD existe.

L’armée de l’air russe accuse un sérieux retard dans les domaines de la visée à haute précision et à distance et continue à utiliser des munitions dépassées. Cette stratégie expose les équipages et a contribué à la majorité des pertes.

On note aussi l’absence de petites bombes à guidage intelligent équivalentes aux GBU-12.

Sur un plan plus opérationnel on note la pauvreté, côté russe, de la couverture aérienne des troupes au sol et l’utilisation de l’évacuation sanitaire héliportée (seul cas documenté à Gostomel).

Sur un autre plan, il faut noter que l’aviation russe utilise des stratagèmes pour découvrir les positions de la DAT ukrainienne et de ses radars en s’appuyant sur des leurres constitués de cibles volantes Eniks E95 et même en imitant l’armée azérie en transformant des vieux bi-plans AN-2 en drones.

 

L’utilisation des drones au combat a été marginale, très peu de vidéos ont montré des attaques complexes réalisées par des drones sauf celles avec des Orion.

Note positive, le système de défense active President S a montré son efficacité sur les hélicoptères russes ce qui a permis de minimiser les pertes au regard du nombre et de la vigueur de l’engagement anti-aérien ukrainien.

 

Sixième observation

Elle n’est en aucun cas un parti pris ou une défense de la “bonne moralité” de l’armée russe, mais on note tout de même que sur le plan stratégique, l’armée russe n’a en aucun cas détruit l’infrastructure énergétique ni même les réseaux de télécommunications, comme le font systématiquement les Etats-Unis lors de leurs guerres. On note aussi qu’il n’y a pas de volonté de la part de la Russie d’écraser sous un tapis de bombes tout ce qui bouge en Ukraine. Cela en rend en aucun cas cette guerre plus juste ou plus humaine mais elle marque une différence stratégique avec les guerres des dernières décennies.

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