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Tunisie

Armée beylicale tunisienne : une force nationale pionnière

L’armée beylicale tunisienne désigne l’ensemble des forces armées régulières du Beylicat de Tunis, un État nominalement rattaché à l’Empire ottoman, mais jouissant d’une indépendance de fait depuis l’intronisation de la dynastie Husseinite, fondée le 15 juillet 1705 par le Bey Hussein Ben Ali.

Coincée entre la régence d’Alger, gouvernée par une oligarchie militaire avec laquelle les relations ne furent jamais simples, et la régence de Tripoli, où l’instabilité était la seule chose stable, la dynastie Husseinite décide, dès le règne du Bey Hammouda Pacha, de doter le Beylicat de Tunis d’une force militaire crédible, totalement autonome vis-à-vis de la Sublime Porte, et fondée sur un recrutement exclusivement national, sans distinction d’origine. Une première dans le monde arabe, où les armées étaient historiquement basées sur un socle tribal, ethnique ou religieux.

Mais c’est sous le règne du Bey Hussein II que la force militaire du Beylicat de Tunis prend la forme d’une véritable armée régulière, au sens moderne du terme : l’armée beylicale tunisienne. Les premières unités voient le jour en 1831, lorsqu’une brigade d’infanterie est formée à Tunis. L’année suivante, une seconde brigade est établie à Sousse. Ces unités, entraînées, équipées et vêtues à l’européenne, s’inspirent des réformes de l’armée ottomane entreprises par le sultan Mahmoud II après l’abolition du corps des janissaires.

Poursuivant les réformes de son oncle, le Bey Ahmed Ier engage le Beylicat tunisien dans une ambitieuse modernisation de ses institutions militaires. Il fonde notamment l’École militaire du Bardo en 1837, premier établissement d’enseignement supérieur militaire de la région.

En 1855, l’armée beylicale tunisienne se compose de sept brigades d’infanterie, réparties sur le territoire et placées sous le commandement d’un amir liwa (général de brigade). Les effectifs de chaque brigade varient de 2 000 à 5 000 soldats selon les périodes. À partir de 1835, quatre régiments d’artillerie (topjiya), comptant chacun 1 000 soldats, viennent renforcer l’armée beylicale tunisienne. L’armée beylicale intègre également des régiments de cavalerie tribale. Conscient de la nécessité d’une cavalerie régulière, le Bey Ahmed Ier crée en 1850 un régiment de spahis.

À son apogée, l’armée beylicale tunisienne compte environ 40 000 soldats, hors cavalerie tribale aux effectifs fluctuants — un nombre considérable eu égard à la démographie de l’époque.

Dès 1810, sous le règne du Bey Hammouda Pacha, le Beylicat de Tunis se dote d’une industrie militaire avec la création d’une fonderie de canons à la Hafsia, au cœur de la médina de Tunis. Modeste mais efficace, cette manufacture approvisionne l’artillerie et la marine en canons jugés performants par les observateurs de l’époque. Sous le Bey Ahmed Ier, vers 1840, l’industrie militaire connaît un essor remarquable avec l’établissement de manufactures modernes couvrant les différents besoins de l’armée (draperie, tannerie, fonderie de canons, fabrication d’armes légères, mines, poudrerie, minoterie, etc.).

Durant la guerre de Crimée (1854-1856), un contingent tunisien, fort de 12 000 à 15 000 soldats selon les sources, combat sous les ordres des généraux Rachid, Osman et Chaouch, témoignant des capacités militaires du Beylicat de Tunis.

L’instauration du protectorat français en 1881 scelle le destin de l’armée beylicale tunisienne, première force armée que l’on peut qualifier de nationale et régulière dans le monde arabe. En vertu des conventions de La Marsa, signées le 8 juin 1883, Ali III Bey est contraint de nommer le général Forgemol, commandant du corps expéditionnaire français, au poste de ministre de la Guerre. Le 15 octobre 1883, ce dernier dissout officiellement l’armée beylicale par décret, instituant simultanément une garde beylicale. À l’indépendance du pays, en 1956, l’incorporation des soldats de la garde beylicale facilite la mise en place rapide d’une armée nationale tunisienne.

Si, sans surprise, le Beylicat de Tunis ne put résister aux ambitions coloniales de la France, dont les moyens étaient incomparablement, l’expérience de l’armée beylicale tunisienne posa néanmoins les fondements d’une tradition militaire nationale, et au-delà, d’un sens aigu de l’État national. L’étudier s’avère indispensable pour appréhender une part essentielle de l’histoire militaire, politique et sociale de la Tunisie.

Par: MouradTN

 

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